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Maudits soient les yeux fermés

Grand Prix Angers, Écran d’Or Montréal 1996

La Vie : "Un pavé dans la mare, aux ondes de choc infinies."

 

Le Monde : "Le film de Frédéric Laffont n'est pas un document sur les massacres : on n'y verra pas une image des atrocités commises entre avril et juillet 1994, selon un plan prémédité au niveau de l'Etat; on n'y entendra pas non plus les témoignages des rescapés.

Maudits soient les yeux fermés décrit le combat isolé, impossible, de trois individus acharnés à recueillir les faits, les témoignages, pour que l'Histoire ne soit pas réécrite ensuite et que justice soit faite. Et qui ne rencontrent qu'obstacles ou menaces.

Le film de Laffont est comme une trace du silence qui s'étend. Relire Primo Levi."

 

Libération : "Nous sommes en août 1994. Frédéric Laffont, journaliste et réalisateur, vient d'arriver à Kigali pour filmer durant un an la mise en place puis les audiences de cette cour extraordinaire. "Je voulais rapporter l'écriture de l'histoire. En 1945, le procès de Nuremberg et son -Plus jamais ça- ont été les fondements de notre monde actuel".

Lorsque le générique de fin apparaît, la caméra revient subitement au Rwanda, sur les lieux du massacre, crânes, os, valises éparpillés. Un choc. En une heure trente, déjà, on ne se souvenait plus. Maudits soient les yeux fermés... est bien un film sur l'histoire.

Mais, précieusement, pour la première fois il raconte l'impalpable : comment on oublie."

English version:
CURSED BE CLOSED EYES

Durée: 45'

© Interscoop, BBC, 1996

Montage Jean-François Giré

Durée: 54'

© Interscoop, La Sept/Arte, 1995

Rwanda, 1994.
Un génocide.
Comment écrire l'histoire, demander justice ?

Trois personnages en quête de justice au Rwanda

Par CORINE LESNES

Le Monde, le 03 décembre 1995 à 00h00

 

Directeur de l'agence Interscoop, lauréat du Prix Albert-Londres, auteur de nombreux grands

reportages remarqués, Frédéric Laffont ne pouvait probablement éviter cet événement sans

précédent dans l'histoire de la deuxième moitié du vingtième siècle : un génocide reconnu par l'ONU.

Il s'est attaqué au sujet dès août 1994 et y a travaillé plus d'un an. Un an d'aller-retour Paris-Kigali.

Plus quelques voyages annexes : La Haye (où siège le tribunal international), New York (pour un

rendez-vous au bureau 3341 de l'ONU), Bruxelles (où se côtoient les opposants hutus et les déçus du

nouveau régime tutsi). Le résultat : Rwanda, Maudits soient les yeux fermés, un documentaire de 80

minutes, coproduit par La Sept et Arte et Interscoop; et un livre, Maudits soient les yeux fermés,

écrit en collaboration avec Françoise Bouchet-Saulnier, édité par J.-C. Lattès-Arte.

Le réalisateur a choisi de centrer son travail sur le thème de la justice en suivant trois personnages,

pareillement attachés à ce que l'Histoire ne se dilue pas dans le pragmatisme de la réconciliation,

mais que l'on voit jeter l'éponge, progressivement. Le premier, Joseph Matata, un Hutu, militant des

droits de l'homme, se trouvait à l'étranger quand le génocide a commencé. De Kigali à Bruxelles, où il

finit par se réfugier pour écrire une pièce de théâtre sur la « tragédie rwandaise» (celle d'hier et

d'aujourd'hui), on le voit taper sur sa vieille machine les témoignages des rescapés qu'il a interrogés

sur les collines. Un travail qu'il fait pour lui-même autant que pour l'Histoire, car le réalisateur ne

cache pas que ces témoignages n'ont aucune valeur juridique pour les instances officielles.

 

Dans son épreuve imposée, Frédéric Laffont a su choisir le ton et la musique qui conviennent aux

images de restes humains empilés sans lesquels il semble ne plus y avoir de vision du Rwanda. Mais

ses images les plus fortes montrent des vivants, les prisonniers, empilés eux aussi par milliers dans

leurs cellules. Elles apparaissent presque au détour du film, comme si le réalisateur lui-même en avait

eu un peu peur. Ce sont pourtant les plus saisissantes, les plus gênantes, et certains Rwandais qui ont

assisté à la projection en avant-première à Paris ne s'y sont pas trompés. Aussitôt, ils ont dénoncé une

manoeuvre « politique», répétant qu'on ne saurait mettre sur le même plan le sort des prisonniers,

exécutants présumés du génocide, avec celui qui a été réservé aux Tutsis et aux Hutus progressistes

en 1994.

 

Il n'empêche. On disait ici même les prisons surpeuplées et leur visite éprouvante en janvier. Elles

comptaient 14 000 détenus. Aujourd'hui, il y en a 59 000. On se demandait comment ils pouvaient

s'allonger tous en même temps. Aujourd'hui, ils se marchent littéralement dessus. La caméra de

Frédéric Laffont les suit au ras du sol, là où s'enchevêtrent leurs pieds. Parmi les maladies les plus

courantes, outre la dysentrie, il y a désormais les lésions des membres inférieurs, les nécroses des

orteils. Faute de pouvoir se reposer régulièrement, les jambes souffrent d'oedèmes, qui vont parfois

jusqu'à nécessiter l'amputation. Quinze mois après les premières arrestations, aucun détenu n'a été

jugé. Alors que l'ONU et le CICR ont aménagé de nouveaux centres de détention, aucun détenu n'y a

encore été transféré. Selon Médecins sans frontières, le nombre de morsures humaines est aussi en

augmentation dans ces lieux, pour ne pas dire camps de concentration que sont devenues les prisons.

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